Analyse perso des textes de la réforme par un comédien

La réforme du statut d’artiste – analyse personnelle des textes de lois par un comédien

En Belgique, une réforme portant sur le statut des travailleur.euses « artistes » du secteur culturel est en cours de finalisation au fédéral, menée par les cabinets Dermagne, Vandenbroucke et Clarinval. Si une réforme était souhaitée et considérée comme nécessaire par le secteur, la proposition des autorités fédérales belges, qui se pare des atours de la concertation et de la démocratie participative, est un coup de poing dans la gueule de nombreux.ses travailleurs et travailleuses.

Je relaie ici une pétition de la plate-forme Culture en lutte (reprenant les branches cultures des syndicats la CSC, la CGSP et le Setca, mais aussi l’ATPS (technicien.nes), METAL (étudiant.es des écoles supérieures des Arts), la CCTA (chambre des compagnies de théâtre pour adultes) et le groupe F(s) (femmes et X du secteur culturel)) contre ce projet de réforme. Et je vous invite ardemment à la signer et à la partager: https://www.openpetition.eu/be/petition/online/non-a-ce-projet-de-reforme-du-statut-social-des-travailleuse-eur-s-des-arts#petition-main. Considérez en effet que cette réforme, en dépit de ses promesses et de ses déclarations de bonnes intentions, va durablement mettre à mal nos conditions de travail. Si vous avez un quelconque poids politique, je vous prie de le mettre au service de l’arrêt de ce machin.

Je précise ci-dessous quelques éléments de contexte, ainsi qu’une critique de cette réforme au regard de ses mesures-phares. Il manquera des éléments lorsqu’il s’agit de juger le bien-fondé de cette réforme au regard de certaines professions artistiques dont je connais moins ou peu les réalités (telles celles de plasticien.nes, ou d’artistes du numérique). J’aurais certainement des points aveugles quant aux droits et conditions de mes collègues féminines. Je m’attarderai essentiellement sur les points qui ont trait à l’accès et au maintien au chômage non-dégressif (je ne citerai pas par exemple l’évolution du RPI en IAA, ni les points relatifs au 1bis n’ayant pas ou peu d’expérience avec ces dispositifs).

Aussi je ne prétends à aucune exhaustivité et surtout à aucune expertise en matière juridique. Voyez-y la lecture subjective d’un comédien/assistant à la mise en scène/pédagogue, homme blanc cisgenre d’une trentaine d’années né peu avant la Chute du Mur dans une famille petite-bourgeoise multiculturelle. Je suis syndiqué à la CGSP et accessoirement membre de la SACD.

Je remercie Marion Pillé et Florian Huet pour leur relecture critique et attentive.

Alessandro de Pascale, Bruxelles, 4 juillet 2022

Sources consultées

J’ai consulté les documents suivants, en partie disponible sur la plate-forme workinginthearts (WITA) :

AR Chômage 1991

AR chômage nouveau statut

AR Chômage Rapport au roi

AR du 2 mai 2021

Exposé des motifs

Projet de loi

AR Commission des Arts

Rapport au Roi

Mais aussi :

Slides de présentation de Pierre Dherte pour l’Union des Artistes, daté de décembre 2021. Il comporte donc forcément des différences par rapport aux textes parus en mai 2022 – et je n’en partage pas toutes les conclusions.

Note de Anne-Catherine Lacroix pour l’Atelier des Droits Sociaux (Un perimètre élargi, vraiment?

Note de synthèse de Me Alexandre Pintiaux pour iles asbl

J’ai par ailleurs visionné la réunion de la Commission des Affaires Sociales du 01/07/2022 « Réforme du statut d’artistes – échange de vues » et été présent à la séance du « WITA on Tour » organisée par les ministres au See U (Etterbeek)

La réforme du statut d’artiste – analyse personnelle des textes de lois par un comédien 1

1. Le « statut » et la réforme 4

2. Le « travailleur des arts » 5

a) Définition 5

b) L’attestation de travailleur.euse des arts 5

3. La Commission du Travail des Arts 6

a) Sa composition : l’impossible représentativité des travailleur.euses 6

b) Problèmes posés par son mode de délibération 7

c) Problèmes posés par l’examen qu’elle pratique 8

d) Problèmes posés quant aux délais 14

e) Problèmes posés quant au recours 15

f) Problèmes posés par l’impossibilité d’effectuer des recours sur le fond devant le Tribunal du travail 15

g) Problèmes posés quant au contrôle 16

4. L’allocation des travailleur.euses des arts 16

a) Obtention et maintien 16

b) Exclusion et réintégration 18

c) Montants et jours non-indemnisables 19

5. Remarques quant à certains arguments avancés dans l’Exposé des motifs 21

6. En conclusion 22

a) Critique sommaire 22

b) Pour rire un peu : illustration des difficultés du système de sas à double entrée Attestation/Allocation, et des délais administratifs. 23

1. Le « statut » et la réforme

En tant que travailleur du secteur culturel (comédien, assistant à la mise en scène, etc…) j’ai droit à une non-dégressivité (en fait une dégressivité s’arrêtant en fin de première période d’indemnisation) de mes allocations de chômage. L’accès au chômage est lui-même, dans certains cas, assorti de règles « assouplies » par rapport au régime général. Ces règles se justifient pour la raison simple qu’avec les règles générales, un.e travailleur.euse du secteur culturel ne serait pas capable d’accéder au chômage, sauf peut-être à de rares exceptions. Ces allocations offrent le filet de sécurité indispensable pour pouvoir chercher du travail et s’investir dans des projets chronophages très mal payés mais artistiquement enrichissants. Ce mal-nommé « statut » venait en partie panser le manque structurel d’investissement dans l’emploi artistique.

L’élargissement de ce système, bien qu’imparfait, à d’autres catégories de travailleur.euses précaires, aurait à tout le moins mérité réflexion – comme le réclamaient notamment F(s) et METAL. Mais ce n’est pas la piste qu’a suivie le gouvernement.

Les règles d’accès et de renouvellement ont évolué depuis 2002 (où elles intégraient d’autres travailleur.euses concerné.es par les contrats courts), jusqu’à se durcir en 2014, où ces mesures ne s’appliquent plus qu’aux seuls métiers artistiques, techniques ou de soutien. Sans m’épancher davantage sur le « statut » actuel – en fait quelques articles parsemés plic-ploc dans la réglementation du chômage – qui maintenait ses bénéficiaires dans le champ des « chômeurs longue durée », je dirais qu’il se caractérise par un accès qui demeure complexe (en deux temps – un premier temps avec l’accès au chômage, un deuxième avec l’octroi de la non-dégressivité) et un renouvellement relativement simple (3 prestations par an). D’autre part, il crée avec le temps une inégalité entre les ancien.nes et les nouvelles.aux entrant.es, à cause de la difficulté de réévaluation des montants alloués. Ce déséquilibre n’était pas tenable, ni souhaitable.

De façon schématique, la réforme prétend inclure davantage de professions. Un.e travailleur.euse qui obtiendrait une reconnaissance de « travailleur des arts » se verrait faciliter l’accès aux allocations, avec un renouvellement de celles-ci tous les 3 ans, ceci afin de tenir davantage compte du caractère discontinu de nos activités. Alors, c’est quoi le problème ? Il réside dans de nombreux détails.

2. Le « travailleur des arts »

a) Définition

Le Projet de Loi crée une nouvelle catégorie de travailleur.euses, appelée « travailleur des arts », définie comme une personne qui exerce « une activité dans le domaine des arts », que ce soit pour une « prestation artistique, technique ou de soutien ». Les trois domaines semblent donc mis sur un pied d’égalité, ce qui est a priori une bonne chose, car actuellement, les dispositions liées au chômage dudit statut (accès permis via la « règle du cachet » et « non-dégressivité ») sont appliquées différemment aux artistes et technicien.nes et échappent à des professions de soutien parfois tout aussi précaires. Malheureusement, nous verrons plus loin que cette inclusivité est mise à mal par d’autres pans des textes.

b) L’attestation de travailleur.euse des arts

Un.e travailleur.euse des arts est certifié.e dans ce statut par une attestation délivrée par la Commission du Travail des Arts, valable 5 ans. Cette attestation est opposable à toute institution, afin de faire valoir ses droits en tant que « travailleur des arts » : règle particulières du chômage en termes d’accès, de maintien et de montants, contrats dits 1bis, etc… C’est donc un sésame. Mais c’est surtout un sas. Car la reconnaissance de notre qualité de membre du club des « travailleurs des arts », ne donne en elle-même que très peu de droits. Le droit aux allocations demande pour sa part une seconde procédure, qu’on détaillera ultérieurement. En quelque sorte, l’attestation, c’est la porte des coulisses. Sauf qu’elle est gardée par un Sphinx (la Commission), dont l’anatomie est encore très floue.

On objectera que les conditions actuelles proposent aussi un accès en deux temps. Sauf que celles-ci n’interviennent qu’une fois – sauf accident ; le reste n’est « que » renouvellement. Ici, l’attestation vaut 5 ans, et est donc appelée à être renouvelée de son côté, en plus du renouvellement des allocations. On peut d’ailleurs s’interroger sur la durée de validité, assez ridicule, de cette attestation. S’il s’agissait de juger de notre capacité à effectuer un travail (péri-, para-)artistique, je ne vois pas en quoi ces capacités (sauf invalidité) périmeraient avec le temps. Le numéro INAMI d’un médecin ne s’use pas, lui. Mais bon, visiblement, pour les artistes, ce n’est pas pareil.

Dès que l’attestation arrive à expiration, tous les autres droits qu’on aurait acquis entre-temps, «périment » instantanément. Donc, une fois entré.e «en scène », on peut se retrouver à nouveau à la porte des coulisses, en face du même Sphinx, alors même que notre temps de scène n’était pas écoulé.

Outre le sas, ce système de double preuve ressemble à une porte à tourniquet où on risque à tout moment de se faire pincer très fort.

3. La Commission du Travail des Arts

Voilà le Sphinx chargé d’examiner nos demandes d’attestations. Et il n’est pas commode.

a) Sa composition : l’impossible représentativité des travailleur.euses

Le Rapport au Roi signale des progrès par rapport à la précédente commission en y incluant 9 membres du secteur des arts contre 3 actuellement. Il faut néanmoins tordre le cou à cet argument : la nouvelle commission, de part l’étendue de ses compétences, n’a plus rien à voir avec la précédente. Les décisions de l’actuelle Commission n’ont aucun impact sur notre droit aux allocations de chômage. Il serait dans ces conditions assez biaisé de vouloir juger la nouvelle par rapport à l’ancienne. Il faut juger la nouvelle Commission pour ce qu’elle est.

Cela étant dit, en voici la composition : d’une part 9 représentant.es des fédérations des arts et d’autre part 9 autres membres représentant.es des administrations fédérales  (ONEM, INASTI, ONSS), des syndicats et des organisations patronales ou des organisations des travailleur.euses indépendant.es. Cela pour chaque section linguistique. Cette Commission est présidée par « une personne indépendante »1, qui n’a qu’une voix consultative, et qui doit être « maître en droit » et bilingue (AR Commission, art 7).

Qui seront ces 9 représentant.es ? A ce jour, mystère. L’arrêté prévoit qu’il faut veiller « à une répartition équilibrée des représentants des divers domaines des arts et des diverses professions artisticotechniques, ainsi qu’en termes d’âge, d’ancienneté et de sexe. » mais précise immédiatement qu’il s’agit « d’une obligation de moyen, pas de résultat. ». On sait où finissent généralement les déclarations de bonnes intentions.

Il faut tordre le cou également à un autre élément de langage des ministres, qui affirment qu’il y aura une « présence des travailleurs des arts » – comme c’est en partie actuellement le cas mais de façon minoritaire ! – au sein de cette Commission. La loi parle bien de représentant.es des fédérations, ce qui est sensiblement différent. Pourraient s’y retrouver des sociétés de droits d’auteur (comme c’est le cas actuellement), lesquelles, si elles sont à l’écoute de certains pans du secteur, ont sans doute d’autres préoccupations. A tout le moins, elles ne me semblent pas les plus qualifiées lorsqu’il s’agit de défendre une réalité sociale de terrain – mais c’est un point de vue strictement personnel.

La représentativité n’est pleine en effet que si les représentant.es partagent les préoccupations et les revendications du secteur, et singulièrement de ses catégories les plus défavorisées. Certain.es adhérent.es éminent.es desdites fédérations ont parfois partagé avec l’ONEM l’idée qu’une partie des bénéficiaires actuel.les ne méritaient pas de protection sociale, et qu’il y avait eu « des abus ». Cela vient en appui à cette vision du statut d’artiste comme un privilège. Ses tenant.es confondent statut au sens symbolique et statut social tout court (des cotisations donnant droit à une assurance chômage lorsque ce risque se manifeste).

Plus largement, on peut douter d’une « représentativité » du secteur avec seulement 9 membres, d’autant plus dans le cadre d’un fonctionnement bureaucratique standard. D’autres modes d’organisations et de représentation existent – on l’a vu avec des collectifs comme le groupe F(s) par exemple.

Il y a aussi fort à parier que la charge de travail détournera des professionnel.les de terrain de cette tâche. Je cite ici Bernard Breuse, dans un texte lu en préalable à la séance plénière de la Chambre de concertation en arts vivants du vendredi 17 juin 2022 :

« Si on peut envisager à environ 7000 personnes2 le nombres de personnes concernées qui passeront tous les cinq ans sous les fourches caudines de cette bureaucratie commissionnaire, et en pensant qu’il faudra dix minutes pour examiner chaque cas, ce n’est pas moins de 332 réunions de quatre heures qu’il faudra donc organiser pour pouvoir renouveler les attestations qui donneront droit à l’accession au nouveau système. Bonne chance aux artistes qui y participeront . »

Enfin, l’hypothèse d’un.e membre « artiste » est encore mise à mal par la rémunération : seul un jeton de présence de 150€ est prévu à l’art.9 de l’AR Commission – il s’agit  donc d’une indemnité, et non un salaire avec son cortège de droits sociaux. Cela est présenté comme un progrès, vu que la précédente Commission ne proposait rien aux artistes, mais, au risque de me répéter, c’est à nouveau un biais – car la charge de travail sera ici a minima décuplée. Mais même avec une rémunération adaptée, il faudra toujours tenir en compte qu’un.e « artiste » seul.e est de toute façon désavantagé.e par rapport à des représentant.es des administrations fédérales ou d’autres organismes, qui sont payé.es pour cette tâche et ont le temps nécessaire pour examiner les dossiers. Le témoignage d’Émilienne Tempels, comédienne et actuelle membre de la Commission, est à ce titre éclairant. (https://youtu.be/jBze5dxhBfs)

L’organisation et le fonctionnement de cette Commission ne permet pas à mon sens de représentativité.

b) Problèmes posés par son mode de délibération

Dans le projet de loi, il est précisé que la Commission statue à 60% lorsqu’elle siège de façon élargie ou plénière. Cela appelle plusieurs remarques. Sachant que les représentant.es « artistes » (et on a vu plus haut que cette notion même de représentativité du secteur était déjà problématique) composent 50% de la Commission, et que de l’autre côté siègent des institutions a priori attachées à une vision restrictive du statut (les décisions abusives passées de l’ONEM, débouté à plus de 400 reprises par les tribunaux, indiquent un certain passif en la matière), on voit mal comment l’équilibre politique ainsi constitué peut pencher en faveur d’une plus grande inclusivité. Dans ces conditions, une majorité est atteignable, comme le note Me Alexandre Pintiaux, si «les représentants des artistes et les représentants syndicaux prennent une position commune ». Un partage de voix, note l’exposé des motifs, équivaut à une décision négative – mais cela reste apparemment en discussion. Il faudrait a minima, qu’un partage des voix accorde « un vote décisif aux représentants du secteur des arts ».

La Commission siégera toujours en première instance de façon restreinte. Dans cette configuration, elle siège à 6, avec 3 « artistes » et 3 « autres » (institutions, syndicat, patronat), mais elle doit statuer à l’unanimité ! Si celle-ci n’est pas obtenue, le dossier est remonté en chambre élargie, ce qui rallongera encore les délais de traitement.

Lorsqu’elle siège de façon élargie, elle siège à 18, en mélangeant de façon équilibrée les représentant.es francophones et néerlandophones.

Enfin, elle peut siéger de façon plénière, c’est-à-dire avec l’ensemble des deux sections (francophones et néerlandophones). Ces séances n’examinent pas les demandes d’attestation, mais interviennent davantage pour un travail d’expertise (ROI de la Commission, avis sur des projets de loi).

A noter, que la Commission peut, dans tous les cas rassembler moins de monde, tant que chaque groupe comporte au moins la moitié de ses membres (AR Commission, art 4, §2). Cela permet techniquement de siéger à 4 en Commission restreinte, et vu la possibilité de donner procuration, il serait théoriquement possible de siéger à 2…

c) Problèmes posés par l’examen qu’elle pratique 

Artistique : une notion floue pourtant centrale

C’est sans doute le nœud du problème quand on en vient à la Commission.

La Commission délivre l’attestation de « travailleur des arts ». Le Projet de Loi précise que pour cela, elle évalue en premier lieu le « caractère professionnel de la pratique artistique dans les arts ». Les arts considérés sont audiovisuels, plastiques, musique, littérature, spectacle, théâtre, chorégraphie et bande-dessinée. Notons que cette dernière pratique était absente des textes précédents. Une extension du champ de ces arts ou de pratiques spécifiques à ceux-ci est d’ailleurs possible, c’est le côté présenté comme inclusif et évolutif de la réforme.

On note très vite une première contradiction. La loi veut inclure les professions artistiques, techniques et de soutien. Mais on a de la peine à voir en quoi une pratique de « soutien » serait  » artistique « . Pourtant, le législateur veut à tout prix que cette caractéristique « artistique » soit centrale – et cette volonté est déjà en soi élément très discutable.

Le problème se complexifie d’ailleurs au Titre 3, §4 du Projet de Loi : il y est affirmé que les activités « artistiques », « artistiques-techniques » (et non plus seulement techniques), et « artistiques-de soutien » (non plus seulement de soutien) sont considérées comme artistiques. On notera la tautologie : est « artistique » tout ce qui est « -artistique ». Mais alors, qu’est-ce qui fait le caractère « -artistique » ? Dans le même titre la réponse arrive enfin : le caractère artistique est déterminé par le fait que « la contribution à l’œuvre artistique est nécessaire », « nécessaire » signifiant que la contribution de l’individu donne un résultat artistique précis. La personne doit donc être « indispensable » étant entendu que, sans elle, le « même résultat artistique ne pourrait être obtenu ». Voilà une définition qui appelle à de longs débats houleux et autres discussions byzantines.

C’est sur ce point d’ailleurs que le ministre Vandenbroucke, interrogé par un technicien à ce sujet lors du Wita on Tour, a répondu qu’à son avis accrocher des projecteurs n’était pas une “contribution artistique indispensable”. Mais comment fait-il quand cela rentre dans le périmètre de son MÉTIER ?!

Cela ressemble à une inutile complication, et les arguments d’inclusivité me semblent faibles alors que l’art 116 §8 de l’actuel AR chômage (§ que le projet en cours entend abroger) définit plus simplement – et me semble-t-il de façon bien plus inclusive – les activités techniques et de soutien3 : ici, accrocher un projecteur « collabore » pleinement à la préparation d’un spectacle. Si on veut être plus inclusif, il suffit d’ajouter un point relatif à d’autres arts.

On m’objectera cependant que cette définition n’est pas si centrale que ça puisque, afin de faciliter et/ou d’accélérer la délibération, la Commission pourra s’appuyer sur un cadastre de critères d’évaluation et d’activités reconnues, cadastre que cette Commission sera chargée d’établir et qui serait appelé à évoluer (AR Commission, art 2, §5, 7°). En effet, aucun cadastre n’a été fixé jusqu’à présent. Le ministre Dermagne a avancé dès lors que la future Commission s’appuiera d’abord sur les professions déjà reconnues par l’ONEM, rendant en principe impossible une régression en matière de droits acquis. Notons que cette recommandation n’est inscrite nulle part dans les textes.

Reste que le périmètre du champ « artistique » défini par le projet de loi porte dans ses termes les germes d’une réduction de ce champ !!!

On pleure d’ailleurs devant la bêtise hallucinante des différentes listes, établies à titre d’exemple, de prestations ne pouvant pas être considérées comme « artistiques » : « (…) l’établissement de contrats pour une troupe de danse (…), le nettoyage d’une salle de concert, (…) la conduite d’un camion chargé de matériel musical d’un groupe pop (…) la traduction pour sous-titrage d’une fiction, la vente en tant qu’agent d’art plastique, (…) les relations publiques d’un auteur et contact de presse d’un artiste, l’organisation et la vente de concert de danse de théâtre et de groupes de musique, la construction d’un podium, la coupe de cheveux d’un compositeur…» (Exposé des motifs, commentaire de l’art. 6). De nombreuses tâches susmentionnées sont souvent de facto prises en charge par les artistes ou technicien.nes et devraient donc faire partie du champ de ce qui est para-artistique. Lorsqu’il est fait appel à des personnes extérieures, par exemple pour des relations publiques/du contact presse, ces tâches sont rarement rétribuées à leur juste prix, vu l’économie fragile des compagnies. Des travailleur.euses qui s’intègrent dans ces économies fragiles, et qui prennent à ce titre les mêmes risques que les artistes, devraient pouvoir bénéficier des mêmes droits !!!

On déplore que le champ pédagogique (qui contribue pourtant dans les faits au développement de l’artiste) soit également abandonné, là où c’était une grande revendication du secteur (Exposé des motifs, commentaires de l’art 6). Il est cependant intégré dans ce que le législateur appelle les « activités périphériques » (v. infra).

Les métiers administratifs qui accompagnent nos pratiques, souvent précaires, sont également exclus.

L’animation en est exclue aussi (« maquiller des enfants » – quelle que soit la qualité du maquillage donc – ne peut donc être considéré comme artistique ; et « se déguiser en Saint-Nicolas », quelle que soit la qualité de l’interprétation du grand saint, non plus)

D’autres activités sont exclues de façon particulièrement arbitraire: bodypainting, tatouage, traductions, voix-off de documentaire, strip-tease, etc…

Pour les créateur.ices et constructeur.ices de décors comme pour les concepteur.ices de lumières, c’est la règle générale (le caractère indispensable, sans lequel « le même résultat artistique n’aurait pas pu être atteint ») qui s’applique, au cas par cas… Pour des métiers aussi concomitants au spectacle que disons, la frite l’est à la moule, c’est complètement absurde.

Je m’arrête ici, car la liste précisée dans l’exposé des motifs est longue, mais tout est du même tonneau. Ce n’est du reste pas très étonnant quand on connaît la « jurisprudence » prise par l’actuelle Commission (à nouveau, je renvoie vers l’intervention d’Emilienne Tempels pour Culture en Lutte https://youtu.be/jBze5dxhBfs). C’est au sein de cette liste d’ailleurs que le législateur reconnait malgré lui la complexité effarante du jugement que la Commission va devoir porter. Ici, dit-il « L’évaluation ne porte pas sur la qualité de la prestation ou du degré de savoir-faire ou de connaissance technique». Ailleurs, il apporte une précision quant à l’ artisanat : « une certaine action artisanale peut être considérée comme nécessaire au résultat artistique, alors cette action est considérée comme une contribution artistique nécessaire. ». Il résume ainsi : « Il s’agit toujours d’une question de faits, et pour chaque prestation concrète, il faudra voir si l’élément artistique prime ou si l’objectif est avant tout fonctionnel. »

A quel point la Commission va-t-elle se pencher sur toutes nos actions ? Est-ce qu’au cours d’une même prestation je serai donc tour à tour artiste, puis plus, puis artiste, puis plus… ???

Rien que sur ce point, l’entier édifice de ce bazar montre combien il est schief, subjectif, combien il institutionnalise l’incertitude juridique, là où, auparavant, c’était une administration, l’ONEM, qui – au mépris de la loi, et de ce fait, souvent condamnée par les tribunaux – entretenait cette incertitude.

Mais il faut continuer. Car ça se corse méchamment.

L ‘auto-flicage par la prise en compte des activités périphériques et de l’investissement en temps

La Commission évalue également « l’investissement » en temps (Projet de Loi, art . 6 ,§5), ainsi que le montant des revenus, cela aussi bien pour les activités principales de la pratique artistique, que pour les activités périphériques.

Cette distinction entre principal et périphérique est très importante dans la réforme. Les activités principales sont les activités considérées comme artistiques (comme on l’a vu en amont), ainsi que les revenus provenant de droits d’auteurs et de droits voisins (lesquels proviennent indirectement de l’exercice d’une activité artistique).

Quant aux activités périphériques, elles incluent la formation, l’enseignement (qui est ici réintégré, mais à un degré inférieur, quoiqu’en dise le ministre Vandenbroucke), la participation à des instances d’avis fédérales ou d’entités fédérées et enfin le travail invisibilisé4, qu’on pourrait globalement définir comme toute activité ne pouvant donner lieu à une rémunération, mais apportant une contribution nécessaire à l’exécution d’une prestation artistique. Il s’agit par exemple pour un.e metteur.euse en scène, de la rédaction d’un dossier à l’attention d’un pouvoir subsidiant ou d’un théâtre. Ce travail invisibilisé ne donnant pas lieu directement à un revenu, il faudra donc en prouver l’investissement en temps. La recherche de travail rentre également dans le périmètre des activités périphériques…

Le projet d’auto-flicage en tenant une comptabilité de notre temps quotidien se précise, mais les moyens de l’assurer sont particulièrement flous. Les preuves formelles en la matière sont impossibles à réunir – il faudra sans doute multiplier les traces (photos, dossiers, textes, extraits de carnet de travail, mails, etc…) en comptant sur la capacité de déduction de la Commission.

Les travailleur.euses devront en outre être particulièrement vigilant.es à ne pas décrire ici des activités qui n’ont pas pu être rémunérées faute de moyens. Cela pourrait être requalifié en bénévolat, et donc prêter à sanction…

Le ministre justifie ce point par le fait que la prise en compte du travail invisibilisé était « une demande expresse du secteur des arts » (Rapport au Roi, p.9). Mais ce travail invisibilisé devrait être présumé (par exemple, s’il y a spectacle, c’est que chaque participant.e à forcément presté un travail invisibilisé), presque forfaitaire en quelque sorte. D’autant plus que de nombreux projets finissent par ne pas voir le jour, et leur travail invisibilisé ne peut donc pas être déduit. Au lieu de ça, on maintient la charge de la preuve dans le chef des travailleur.euses ! Au final, on nous demande de justifier nos actions, ce que l’ONEM pratiquait déjà. « Bien entendu, le travail invisibilisé ne peut être pris en compte pour autant que le demandeur puisse en apporter la preuve. » dit encore le Rapport au Roi : on marche sur la tête.

Cela dit, ce n’est pas étonnant. Tout le système du chômage repose sur l’idée qu’un.e chômeur.euse est un.e fraudeur.euse en puissance, et qu’il doit donc fournir la preuve de sa recherche d’emploi. Là où il serait beaucoup plus simple, et réaliste, de considérer qu’iels sont forcément en recherche d’emploi – car cette situation (et on a expérimenté l’inactivité pendant le confinement), n’a rien de désirable !

la double prise en compte des revenus

Le montant des revenus a, a priori, un caractère objectif, et pourrait apparaître comme légitime. Cependant, on peut d’une part s’interroger sur la nécessité d’évaluer des revenus vu que ce seront également les revenus qui détermineront, suivant une procédure ultérieure, l’obtention et le maintien d’ « une allocation du travailleur des arts ». Il est à ce titre doublement étonnant que les critères financiers retenus pour l’attestation soient plus élevés que pour l’allocation : 65400 €  bruts de prestations découlant d’activités principales sur 5 ans permettront d’obtenir AUTOMATIQUEMENT l’attestation, sans autre examen de dossier. Les ministres plaident qu’il s’agit d’une mesure purement administrative pour faciliter le traitement. Il faudrait leur dire que très très peu de dossiers vont être ainsi facilités car cette somme est particulièrement difficile à réunir ! Ont-ils entendus la précarité de nos métiers ? Ont-il fait un cadastre de nos revenus ? Visiblement non.

Ils précisent que l’attestation n’ouvre le droit aux allocations que si on peut prouver au minimum 13546 € bruts (dans les activités principales) sur les 5 ans (AR Commission art.12 §8) OU 5418 € bruts sur les 2 dernières années. Les montants sont inférieurs pour un renouvellement (4515 € bruts sur 5 ans OU 2709 € bruts sur 2 ans). En appliquant la règle dite du cachet (v. infra) cela équivaut actuellement en moyenne à 38 jours d’activités artistiques par an pour une première demande et 19 jours par an pour un renouvellement.

On se demande d’ailleurs pourquoi cet acharnement sur les revenus vu que les allocations demandent elles-mêmes leurs propres critères en la matière ! Cela demande, pour un.e travailleur.euse, d’avoir constamment à l’œil les différents types de montants en fonctions des différentes échéances !

Le fait de demander un certain seuil de revenus d’activités principales (donc artistiques) vient également nuancer l’argument des ministres qui invoquent qu’un.e travailleur.euse ne sera plus obligé.e de refuser un emploi non-artistique. En pratique, ce sera beaucoup plus complexe, vu le nombre de jours artistiques à assurer par ailleurs.

Le critère des revenus contient également une part subjective car, si les montants sont inférieurs au seuil des 65400 € bruts, il doivent permettre « d’assurer une partie de ses propres frais de subsistance ». Encore un élément parfaitement idiot, car cette attestation est demandée en vue d’obtenir ultérieurement une allocation, parce que en l’absence de celle-ci on ne PARVIENT précisément PAS à assurer sa subsistance. Personne ne s’amuserait à faire un dossier aussi énorme, à se prêter à ce contrôle administratif parfaitement intrusif, pour espérer s’ « enrichir » avec l’allocation. Qui pense qu’avec 1500 € d’indemnités par mois (hors période de travail, et sujettes à d’autres facteurs pouvant les affecter à la baisse, comme on le verra ultérieurement) on peut s’enrichir ?

Le plus drôle réside peut-être là : lorsqu’il va falloir envoyer le dossier via la plateforme numérique de la Commission (AR Commission, art.13). 5 ans d’activité visibles et invisibles (sous la forme de portfolios, vidéos, textes, mails, audios, liens internet, etc…) à envoyer en une pièce jointe. J’ai de sérieux doute quant à la solidité d’une telle plateforme pour accueillir l’ensemble de ces informations personnelles de façon fiable et sécurisée. On sera sans doute amené.es, après d’innombrables crashs, à envoyer nos volumineux fichiers via des plateformes privées du type wetransfer ou smash, et tant pis pour la confidentialité… Il y a de façon plus évidente le côté parfaitement excluant d’une telle mesure (la fracture numérique, ça vous dit quelque chose ?), vu qu’il n’est pas mentionné la possibilité d’apporter des preuves de façon physique (ainsi que cela se pratiquait jusqu’alors lors d’un contrôle de la part de l’ONEM).

En résumé

Un.e demandeur.euse de l’attestation doit fournir de façon dématérialisée des pièces justificatives pour étayer ses activités artistiques des 5 années précédentes (AR Commission, art. 12). Pour chaque prestation au cours des 5 années précédent la demande, il faudra en plus préciser s’il s’agit d’une pratique professionnelle ou périphérique… Il faudra donner les preuves de revenus (en espérant atteindre un certain seuil, équivalent à minimum 19 jours/an, dans les activités uniquement artistiques) afférentes à chaque prestation, et préciser le temps consacré. Dorénavant, nous devrons donc nous auto-pointer constamment, en étant créatif.ves en termes de « preuves »… Et je dis constamment car le travail « invisibilisé » est quotidien.

Et comme on l’a vu, l’attestation n’est valable que 5 ans. C’est-à-dire qu’il faudra repasser par les mêmes justifications 5 ans plus tard. En clair, je vais, toute ma vie professionnelle durant, devoir garder de côté toutes les preuves de mon « travail invisible », là où, jusqu’alors, je ne devais en faire état que lors de contrôles inopinés de l’ONEM, et sur une période restreinte (si je prends mon exemple en 10 ans, j’ai été contrôlé 3 fois, d’abord par l’ONEM, puis par Actiris lorsque ce contrôle est passé aux agences régionales. J’ai du donc justifier de l’équivalent de 4 ans et demi d’activité – soit moins qu’avec la réforme actuelle).

d) Problèmes posés quant aux délais

On se méfie déjà des délais que la Commission va pouvoir tenir vu la charge de travail (v. supra le point 3.a)). Les ministres répondent à cela que cela va être facilité par la période de transition, période qui est surtout pensée pour pouvoir mettre en place rapidement cette réforme sans attendre que la Commission soit opérationnelle, au mépris des questionnements qu’elle soulève. L’Arrêté-Royal Chômage est en effet prévu pour le 1er septembre 2022, et le ministre Dermagne, en commission des affaires sociales le 1er juillet 2022, a clairement indiqué que, s’agissant des arrêtés, ils seraient mis en place aussi vite que possible (réponse à la question de la députée Moscufo, en fin de séance). « Il est souhaitable que le volet concernant la réglementation chômage entre en vigueur le plus rapidement possible même si cela a pour conséquence que cette entrée en vigueur précède de plusieurs mois celle de la législation concernant l’institution d’une Commission des arts. » précise d’ailleurs le Rapport au Roi. Or, la précédente Commission (aux prérogatives réduites) a d’ailleurs mis des années à se constituer…

Le législateur pare au moins au plus pressé en intégrant automatiquement les « ancien.nes » dans le nouveau système. Quant aux « nouvelles.aux », il leur offre une porte d’entrée provisoire, qui est un assouplissement par rapport à la situation actuelle. Iels sont admissibles si iels peuvent justifier 156 jours dont au moins 104 artistiques sur 24 mois (contre 18 mois auparavant). Il est précisé que ces travailleur.euses ne sont pas obligé.es d’avoir été préalablement admi.ses au chômage « général » (312 jours sur 21 mois pour les moins de 36 ans), comme c’est le cas actuellement. La règle du cachet ne s’applique ici que pour les contrats au cachet/à la tâche. Le calcul de l’allocation suit les règles actuelles, mais le minimum applicable est celui de la réforme.

Mais une fois mise en place, la Commission sera semble-t-il très lente, lenteur attestée ici : « La Commission statue sur une demande dans les trois mois après qu’elle a été déclarée complète par le Secrétariat. Ce délai est suspendu pendant les périodes où le demandeur est invité à fournir des explications supplémentaires. Ce délai est également suspendu pendant les mois de juillet et août. » (AR Commission, art. 13) L’ONEM était jusqu’à présent tenu de répondre à un dossier dans un délai d’un mois, le retard de traitement étant parfois imputable aux lenteurs de nos bureaux de chômage (dans l’envoi du dossier ou dans sa réponse).

e) Problèmes posés quant au recours

Si notre dossier ne reçoit pas de réponse positive, nous n’avons la possibilité d’un recours auprès de cette Commission que si on peut y introduire des « éléments nouveaux » ou une « clarification ». C’est-à-dire qu’à partir du moment où nous avons été jugé.es « coupables » de ne pas être artiste, nous n’avons pas la possibilité de faire simplement examiner notre dossier en deuxième lecture – et on se doute que vu le rythme de travail imposé aux membres de la commission les premières lectures pourraient s’avérer expéditives par manque de temps ! Je présume que la plupart de mes confrères et consœurs préféreront rendre des dossiers « incomplets » afin de se garantir la possibilité par un « joker » supplémentaire, de pouvoir poser un recours qui soit recevable ! Le recours « sera traité par une autre chambre restreinte que celle qui aura traité le dossier une première fois. » (AR Commission, art. 23 et Exposé des motifs – commentaire de l’Art.4)

f) Problèmes posés par l’impossibilité d’effectuer des recours sur le fond devant le Tribunal du travail

L’article 13 du Projet de loi précise que le Tribunal du Travail sera compétent pour « des recours contre la légalité des décisions prises par la Commission du travail des arts ». Cependant, le Tribunal du travail n’est pas compétent sur le fond – or c’est précisément ce point-là qui fera le plus débat ! Si le Tribunal ne peut plus se prononcer sur le caractère artistique ou non d’une prestation, cela offre un pouvoir discrétionnaire à la Commission.

Le ministre Dermagne a répété plusieurs fois qu’il s’agissait d’une « erreur » ou d’une « coquille ». On appréciera le sérieux de la rédaction du projet de loi… Reste que, en l’état, cette coquille a une valeur juridique très grave. Et on peut douter de cette coquille lorsqu’on lit l’exposé des motifs « Aucune institution n’est mieux placée que la Commission, composée pour moitié de membres des fédérations du secteur des arts professionnel, pour évaluer si une personne est dans les conditions pour obtenir une attestation du travail des arts. Dès lors le juge ne devrait en principe pas substituer son appréciation à celle des membres de la Commission » (Exposé des motifs, commentaire de l’art.5)

g) Problèmes posés quant au contrôle

La Commission peut être contactée pour des « abus » en lien avec l’attestation. Elle introduit donc une dimension de délation qui, à ma connaissance, n’existait pas auparavant dans notre métier.

Elle peut également interroger les instances de contrôle (ONEM, Inasti, ONSS, Inami…) et être interrogée par celles-ci à tout moment lorsqu’il y a suspicion d’abus. Seule atténuation, il est précisé dans l’exposé des motifs  que « La Commission du travail des arts n’a pas de fonction de contrôle proactive ». Elle n’est donc qu’ « active », réagissant à l’occasion de « l’analyse de demandes » ou de contact des « services chargés du contrôle »

Le flicage de l’ONEM, que le ministre Dermagne nous annonçait comme terminé, est donc au contraire maintenu, voire élargi, même si, dans les formes, il n’est plus seul à statuer sur notre sort.

Une annulation de cette attestation peut également être prononcée en cas d’abus, cela avec effet rétroactif (AR Commission, art.19), ce qui laisse la porte ouverte à des demandes de restitution d’allocations qui peuvent aller jusqu’à 5 ans ! L’annulation à nouveau peut être demandée soit par les instances de contrôle (recours en annulation), soit par la Commission elle-même en la personne de son Président (requête en annulation d’office). Ces demandes d’annulation sont examinées en séance restreinte (donc on peut être jugé.e par 2 individus seulement). Pendant le temps où cette procédure a lieu, et où le.a travailleur.euse peut être entendu.e, l’attestation est suspendue. Donc, il faut se défendre sans plus avoir de revenus !

4. L’allocation des travailleur.euses des arts

a) Obtention et maintien

Ici, c’est une refonte de l’AR du 25/11/91 sur le chômage qui est proposée, avec un nouveau chapitre dédié entièrement au « travailleur des arts ».

Je passerai sur le fait, symbolique mais surtout très snob, de considérer que nous ne touchons plus d’allocation de « chômage », mais une allocation de « travailleur des arts ». A titre personnel, je ne tire aucune honte à recevoir des indemnités de chômage, car cela ne me retire pas mon statut de travailleur, puisque je suis ponctuellement sous contrat. Je préférerais évidemment être rémunéré plus régulièrement, mais ça c’est une question de financement de la culture – et c’est un autre combat qu’il faut mener de front. De toute façon, nous restons avec la réforme considéré.es comme des « chômeurs complets », même si distinct.es des autres chômeur.euses non lié.es par un contrat de travail et des travailleur.euses à temps partiel.

En résumé l’accès y est autorisé une fois que l’on est en possession de la fameuse attestation. Il faut alors prouver l’équivalent de 156 jours de travail sur 24 mois. C’est moins que les jours actuellement demandés, et c’est surtout une harmonisation entre tous.tes les travailleur.euses, peu importe leurs âges. Ce dernier point est donc un élément qu’il faudrait garder dans une future réforme. L’allocation est alors allouée pour 36 mois, contre 1 an actuellement. Cette mesure, prise isolément, constituerait donc un progrès. Mais comme celle-ci est conditionnée à l’attestation, le progrès est donc très relatif.

D’autre part, le progrès vole complètement en éclat lorsqu’il s’agit de son renouvellement. Il est désormais tenu compte de 78 jours de travail sur 3 ans, contre 3 prestations par an actuellement (ce qui fait un minimum de 9 jours sur 3 ans). Le nombre de jours demandés est donc presque multiplié par 9. Le nombre de jours est réduit à 39 pour les travailleur.euses possédant l’attestation depuis 18 ans (ici une multiplication par plus de 4).

Deux points de la réforme viennent néanmoins amoindrir ces difficultés, sans les effacer cependant. D’une part, les jours pris en compte peuvent être des activités salariées « péri-artistiques, para-artistiques et autres » (sans qu’on soit très sûr.es de ce que cet « autres » couvre), au même titre que les activités artistiques et techniques. L’exécutif argumente dans son rapport au Roi que les artistes exercent souvent d’autres activités afin de subvenir à leurs besoins. On pourrait déduire donc qu’il s’agit ici d’activités salariées au sens large. Cet élargissement est certes bénéfique, mais il est complètement contrebalancé par la course à des jours uniquement artistiques (v. supra) nécessaires à l’obtention et au maintien de l’attestation.

D’autre part, il est précisé que ces jours pourront être calculés aussi via l’actuelle « règle du cachet » : on divise le salaire brut obtenu via un salaire journalier de référence (en fait le RMMMG divisé par 26), et on obtient le nombre de jours (arrondis à l’inférieur) que ce salaire peut justifier. En clair, l’actuel salaire journalier étant à 70,86 €, cela revient à obtenir au minimum un salaire brut de 5527,08 € pour un renouvellement, et 11054,16 € bruts pour une première accession aux allocations. Il est néanmoins précisé qu’on ne peut, pour un trimestre, pas dépasser le nombre de jours travaillables sur ce trimestre (soit 78 – l’ancienne règle allant jusqu’à 156). Cette règle peut s’appliquer à tous les contrats salariés. Si c’est une « facilité » qui atténue quelque peu le nombre de jours réels à justifier, elle est étrange juridiquement. Jusqu’ici, cette règle s’appliquait sur les contrats « à la tâche », et non sur les contrats «à la durée », et cela comportait sa logique. Un contrat à la durée n’est pas censé dépasser la durée qui est indiquée. L’exécutif a donc sans doute voulu tenir compte de la précarité de nos conditions de travail, et du travail invisibilisé inhérent à nos pratiques. J’espère simplement que ce n’est pas une volonté de NORMALISER cette réalité, et d’abandonner toute velléité d’améliorer nos conditions de travail. Le Rapport au roi annonce « une concertation entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des entités fédérées est organisée à cet égard au sein d’un groupe de travail de la conférence interministérielle sur la position socio-économique des travailleurs des arts. ». Espérons qu’elle intervienne rapidement, mais elle aurait du être menée en parallèle.

Reste que le nombre de jours a augmenté, avec, en double peine, l’impossibilité de valoriser les jours assimilés (couverts par ONVA, mutuelle, etc…) comme c’est le cas pour la plupart des accessions au chômage actuellement, et ce même en usant de la « règle du cachet » (AR Chômage, art. 3). Ces jours n’étaient cependant jamais pris en compte pour appliquer la non-dégressivité.

Or, si le nombre de jours était symbolique jusqu’alors, c’était précisément une façon de tenir compte à la fois du travail invisibilisé (non rémunérable) et de la précarité économique du secteur (le travail non rémunéré). Au lieu de ça, on doit PROUVER notre travail invisible auprès de la Commission.

Un autre semblable « progrès » est annoncé lorsqu’on dispense les travailleur.euses des arts du « contrôle de la disponibilité » (AR Chômage, art. 27/194). A priori, échapper aux contrôles aléatoires de l’ONEM permet à chacun.e de souffler et de se concentrer sur le travail de création. Cela serait vrai s’il n’y avait pas le spectre de la Commission, à laquelle nous devons rendre des compte tous les 5 ans (et donc maintenir comme un bon archiviste toutes les preuves de notre « travail invisible », jour par jour), laquelle peut, nous l’avons vu, se saisir dès qu’elle suspecte un « abus ». Le contrôle demeure, il a juste changé de masque. Certes, l’emploi hors activité « artistique » n’est plus considéré comme convenable, mais cela n’est applicable que tant qu’on bénéficie de l’ « attestation ».

Il n’y a donc pas de progrès, mais une régression globale.

b) Exclusion et réintégration

Si un.e travailleur.euse est exclu.e du bénéfice de l’allocation, du fait qu’iel n’a pas rempli les conditions de renouvellement ou qu’iel n’a pas obtenu le renouvellement de l’attestation, iel peut réintégrer celles-ci (dès qu’iel est en possession de l’attestation), en faisant valoir 78 jours de travail sur 1 an, ou 156 sur 2 ans. 78 jours apparaît donc comme une dérogation à la règle générale – même si on observera que le ratio jours/an reste le même. Ces jours doivent tous être postérieurs à la période où le.a travailleur.euse bénéficiait de l’allocation. C’est-à-dire que les jours travaillés alors qu’iel était bénéficiaire de l’allocation, ne peuvent plus servir à l’obtention de droits. Les compteurs sont donc remis à zéro.

c) Montants et jours non-indemnisables

Au niveau des montants, il y a à nouveau un semblant de progrès, vite remis en cause par d’autres pans de la réforme. La distinction entre isolé.es et cohabitant.es serait enfin abolie – distinction qu’on verrait bien abolie pour l’ensemble des travailleur.euses. Seul.es les chef.fes de ménage bénéficient d’un montant supérieur. Mieux, la réforme contrecarre les différences actuelles entre allocataires de « générations différentes » : un des écueils de la situation actuelle étant que des allocataires entré.es dans le « statut » anciennement, touchaient mécaniquement moins que les nouvelles.aux entrant.es, les conditions de réévaluation du montant de leurs allocations étant particulièrement difficiles à réunir. Ici, l’allocation minimale est réhaussée, et la réévaluation peut se faire à la demande des travailleur.euses au moment du renouvellement de façon plus simple qu’auparavant. Dans ces conditions, la réforme a le mérite d’atténuer les différences de traitement par rapport à la situation actuelle.

Le principe du calcul est le même que pour d’autres chômeur.euses : sur base des revenus de la période de référence, on obtient un salaire de référence auquel on applique un certain pourcentage. Ce salaire de référence est plafonné à un maximum et ne peut être inférieur à un minimum donné. Ici le salaire journalier est obtenu lors de la première demande en prenant 1/156ème des revenus, et le pourcentage appliqué est de 60%. Pour procéder à une réévaluation à l’occasion d’un renouvellement, le salaire journalier sera calculé en prenant en compte le trimestre civil où le travailleur a obtenu les revenus les plus élevés, et en divisant ceux-ci par 78.

Il est précisé que les allocations minimums journalières pour l’allocation des arts correspondent au montant minimum journalier applicable en troisième phase de première période (AR Chômage, art 23, 191 §2), càd celles qui s’appliquent en fin de première année de chômage. Le maximum de l’allocation est moindre que celui auquel un.e chômeur.euse classique peut aspirer, puisqu’il est d’emblée limité au plafond salarial moyen (et non supérieur, habituellement pris en compte pour les 6 premiers mois) et que le pourcentage appliqué est immédiatement de 60% (contre 65% pour les trois premiers mois).

Mais en chiffres, ça donne quoi ? Les ministres annoncent un montant minimum allant de 1507 € et 1652 € selon qu’on soit chef.fe de ménage, isolé.e ou cohabitant.e https://www.ps.be/nouveau-statut-artiste-belgique?utm_source=ads&utm_medium=social&utm_campaign=statutdartiste. Bizarrement, le 1er juillet, en Commission des Affaires sociales, Dermagne annonce des montants journaliers suivants, qui semblent légèrement inférieurs : 55,40 € pour un.e isolé.e/cohabitant.e (-> donc 1440 € mensuels) ; et 62,87 € pour un.e chef.fe de ménage (soit 1634,62€). Mais soit, on n’est pas à une incertitude près.

Bien que les textes (art. 22 et 23 de l’AR Chomage, faisant eux-mêmes référence aux mesures de hausse des allocations prises en 2021 en réaction à la crise Covid), soient complexes à déchiffrer en l’espèce5, ils semblent indiquer, selon Anne-Catherine Lacroix (Atelier des Droits Sociaux), que les chef.fes de ménage bénéficieraient du montant maximal prévu actuellement pour leur catégorie en fin de première période (1685,84 € aujourd’hui) et que les isolé.es et cohabitant.es auraient un minimum réhaussé à l’allocation minimale que perçoit actuellement un.e chef.fe de ménage en fin de cette même période (1537,90 €).

Mais voilà, les effets positifs sont immédiatement contrebalancés (c’est sans doute ce qu’on appelle le « compromis à la belge ») par l’extension de la règle des jours non-indemnisables. Celle-ci avait été introduite en 2014, non sans tollé de la part du secteur, et consistait, lorsqu’on était engagé « au cachet / à la tâche » en une perte de jours de chômage en sus des jours de travail déclarés – la déclaration de ces jours étant trimestrielles. Cela aboutissait, pour la majeure partie des travailleur.euses, à un plafond des rémunérations. Par ailleurs, ces jours non-indemnisables ont une conséquence sur la retraite des travailleur.euses ; puisqu’ils ne constituent ni des jours de travail ni des jours indemnisés, ils ne sont pas pris en compte dans le calcul des pensions de retraite ! Tout cela poussait déjà les artistes soit à diminuer leurs salaires, soit à étendre fictivement leurs jours de travail (avec l’accord de l’employeur), afin de ne pas être perdant.e deux fois (en chômage et en retraite !).

Cette règle est désormais posée à l’art 20 introduisant un art 188, § 2, et consiste « à déterminer », pour tout type de contrat donnant lieu à une rémunération, « un nombre de jours de travail supplémentaires » qui ne peuvent être indemnisés, en plus des jours déclarés déjà cochés sur la carte de chômage. La règle s’applique donc indistinctement aux contrats à la tâche ou à la durée, donc sur la totalité de nos prestations salariées ! C’est une grave régression.

Certains sont tentés de justifier philosophiquement ce dispositif en arguant que les salaires élevés le sont pour prendre en compte du travail non-rémunéré, et que le chômage ne peut donc courir pendant ces jours où du travail est effectué sans être pour autant déclaré comme tel. Cependant, c’est ici s’attaquer une fois de plus aux revenus du travail, quand ceux du capital (les revenus mobiliers tels les loyers ou les intérêts et dividendes) n’entrent pas en ligne de compte lorsqu’il est question de percevoir des allocations de chômage. Il y a un deux poids, deux mesures qui vise toujours les mêmes…

Quelques détails pratiques

Le calcul se fait comme suit : (Salaire Brut – (Jours déclarés* 177,14 €))/ 177,14 €.

Le chiffre de 177,14 € correspond à 5/52ème du RMMMG.

Le législateur propose que les travailleur.euses puissent décider de biffer « plus » de jours que ceux déclarés en DIMONA, ce nombre ne devant pas obligatoirement atteindre le nombre de jours non-indemnisables (donc un nombre compris entre 1 et le nombre total de jours non-indemnisables). Voilà qui assez original, surtout que le législateur n’est pas sans savoir qu’en fonction de l’endroit où les jours sont cochés, le montant perçu en allocations n’est pas le même (vu la règle particulièrement bâtarde s’appliquant aux samedis, voir à ce sujet la feuille info T53 de l’ONEM https://www.onem.be/fr/documentation/feuille-info/t53)!

Le calcul est de toute façon effectué par le bureau de chômage en fin de chaque trimestre, et ne peut donner lieu à plus de 78 jours non-indemnisables par trimestre (soit le nombre de jours travaillables d’un trimestre).

Il est précisé que l’arrondi est appliqué à l’unité inférieure, mais une incertitude peut persister quant à si ce calcul se fera, pour un même trimestre, contrat par contrat, ou bien en additionnant d’abord tous les montants perçus au cours d’un même trimestre, ce qui serait nettement moins favorable.

5. Remarques quant à certains arguments avancés dans l’Exposé des motifs

L’exposé des motifs indique vouloir tenir compte de la mobilité transfrontalière et des « défis importants » qu’elle comporte « notamment en matière de protection sociale et de fiscalité ». Je ne vois pas de traces de cette préoccupation dans les textes présentés.

Il annonce également un accès facilité au crédit bancaire pour les artistes, enfin arrimés à un « vrai » statut. Bien que le chômage soit réévalué pour tous.tes, je vois mal un accès au crédit quand le plus long terme pour un.e travailleur.euse bénéficiant de ce statut est de 5 ans (la durée de l’attestation).

J’aimerais m’arrêter aussi sur ce point. Le législateur note qu’il existe : « Une relation tendue entre l’argent et le secteur (« no business-illusion ») et une faible disposition à payer ». Puis il continue « une atmosphère de mystère et de romantisme entoure les arts. Les consommateurs affectionnent l’image de l’artiste dont l’œuvre et l’existence transcendent la réalité quotidienne. En effet, l’artiste ne travaille pas pour faire du profit. Il symbolise plutôt la pureté et l’intégrité. Des notions tels que « succès », « carrière », « propriété », « profit »… ne sont donc pas des thèmes qui vont de soi dans le débat de société sur les arts. C’est également pour cette raison que de nombreuses personnes travaillant dans le domaine artistique doivent se battre toute leur vie contre le « no business illusion », et doivent se justifier pour les rémunérations qu’ils demandent, pour le succès, pour le capital accumulé ou la propriété. Cela explique sans doute la réticence du secteur des arts à utiliser des arguments économiques concrets dans le discours public. »

Si je souscris à la dimension « romantique » que subit l’artiste, je considère que la réforme n’arrange rien sur ce point, vu que la dimension « nécessaire » utilisée pour définir le caractère artistique ou non d’une prestation, contribue à couvrir l’artiste d’un sceau d’ « exceptionnalité » (Une contribution artistique est considérée comme nécessaire lorsque, en l’absence de celle-ci, le même résultat artistique ne pourrait être obtenuProjet de loi, art 6 § 4). Cela alors qu’on sait tous.tes dans nos pratiques qu’un.e interprète est remplaçable sans que cela ne modifie l’œuvre (L’opéra, qui alterne des castings différents tous les soirs en sait quelque chose).

6. En conclusion

a) Critique sommaire

La réforme a quelques mérites sur des points particuliers (comme l’application des mêmes règles, quel que soit l’âge des demandeur.euses, ou l’absence de facto de la distinction entre isolé.e et cohabitant.e), mais ceux-ci, on l’a vu sont rendus caducs par d’autres pans de la réglementation : généralisation des jours non-indemnisables, justification constante de l’ensemble des activités, système à double entrée et aux doubles échéances, notion centralement floue de l’ « artistique », augmentation du nombre de jours travaillés requis, Commission aux contours flous et au pouvoir discrétionnaire…

Il est clair que la réforme a souhaité créer une réflexion « complète », au sens où elle entend mettre en place un ensemble de règles avec leur cohérence propre, sur le statut de l’artiste. On peut saluer la quantité de travail nécessaire à la rédaction de cet ensemble. Mais le travail a été mené trop rapidement au vu de son importance – et les prétentions à la sécurité juridique et à l’inclusivité demeurent des déclarations de bonnes intentions. J’ignore sur quelles données se sont appuyés les ministres pour se forger une vision du secteur, et il n’y a, à ma connaissance, pas eu d’étude d’impact pour évaluer la pertinence d’une telle réforme. D’autre part, un tel travail ne saurait être complet s’il n’est pas accompagné d’efforts coordonnés pour améliorer l’économie (au sens de conditions de rémunérations des travailleur.euses) du secteur. Pire, la protection sociale invoquée est entourée ça et là d’éléments et logiques parfaitement néo-libérales6 – par exemple le fameux « business plan » demandé aux prétendant.es à l’attestation « débutant ».

Les ministres ont déclaré vouloir « s’appuyer sur l’existant ». Le problème est qu’ils ont gardé l’existant qui faisait le plus polémique (la Commission et les jours non-indemnisables) et qu’ils en ont décuplé la capacité de nuisance.

Au vu de l’ensemble des règles, le fardeau administratif va être augmenté, et le maintien dans ce statut va être rendu difficile voire impossible pour les plus précaires d’entre nous.

S’il avait fallu mener un grand chantier, celui-ci aurait associé tous les partenaires sociaux afin de mener une réflexion de fond sur les conditions de travail, de rémunération et de protection sociale de l’ensemble des travailleur.euses précaires.

Alors je m’étouffe lorsque je lis (rapport au Roi de l’AR chômage : « Ce projet tend à revoir et améliorer le cadre existant en fournissant des règles claires et mieux adaptées à la situation et aux besoins du travailleur du secteur culturel. Il garantit une plus grande participation du secteur à la sécurité sociale et assure plus d’égalité et de solidarité au sein du secteur. » Il ajoute « Le présent projet renforce la pratique artistique en prenant en compte notamment le travail invisibilisé, l’intermittence des revenus et des prestations, ainsi que les conditions particulières de travail. ». Mon cul oui.

b) Pour rire un peu : illustration des difficultés du système de sas à double entrée Attestation/Allocation, et des délais administratifs.

La comédienne A entre sa demande d’attestation auprès de la Commission au 1er janvier 2022. Elle obtient, chanceusement, une réponse positive au 1er mars. Le lendemain, elle se rend donc à son bureau de chômage pour introduire une demande d’allocation. Sous réserve qu’elle puisse faire valoir des périodes de travail qu’elle a déjà fait valoir pour son attestation, elle l’obtient. Le 2 février 2025, en prévision de l’expiration de ses allocations valables 3 ans, elle en demande une reconduction, qu’elle obtient (oui, on a quelqu’un qui obtient facilement un travail rémunéré). Seulement, celles-ci ne courent a jusqu’au 2 mars 2028 que sous réserve d’un renouvellement de l’attestation le 1er mars 2027, date à laquelle l’attestation « périme » (après 5 ans). Le 1er octobre 2026, soit 6 mois avant, après avoir amassé presque 5 ans de contrats, et preuves diverses de travail visible et invisible, elle introduit une demande de reconduction de son attestation. Mais, le 1er mars, elle n’a toujours pas de nouvelles – la Commission a du retard. Entre-temps, son allocation tombe au chômage normal en 3ème période forfaitaire, soit le minimum chômage (AR Chômage, art.8). La comédienne A redécouvre alors brutalement son statut de cohabitante. Un mois plus tard, la réponse de la Commission est négative. La travailleuse introduit alors un recours. Deux semaines plus tard, n’ayant pas de nouvelles, elle contacte le secrétariat, qui, après 30 minutes de 5ème de Beethoven, lui indique que rien n’a été réceptionné, cela sans doute du à une erreur informatique. Elle ne se décourage pas et réitère le processus, en doublant d’un courrier recommandé (avec les documents mis sur une clé usb) parce qu’on ne sait jamais. Entre-temps, elle est convoquée par Actiris pour faire le point sur sa recherche active d’emploi…

Ce n’est que le début. J’espère ne jamais écrire la suite.

Annexes Notions de calcul

Règle du cachet

où B = Salaire Brut, C = cachet journalier , JC = jours obtenus après conversion via la règle du cachet

C = RMMMG/26

B/C = JC

Règle du cachet pour des prestations située en partie hors de la période de référence

(Rapport au roi AR Chômage)

((B/JD )*Jdin)/C = JC

où B = Salaire Brut, C = cachet journalier , JC = jours obtenus après conversion via la règle du cachet / JD = Jours couverts par la Dimona, Jdin = Jours entrant dans la période de référence, Jdout := Jours hors de la période de référence

Cette disposition peut être illustrée par un exemple.

Demande d’allocations : 15.06.2021

Période de référence : 15.09.2019 – 14.06.2021

Somme des rémunérations assujetties dans le 3ème trimestre 2019 : 2100 €

La période DIMONA : 15.08.2019 au 30.09.2019 (= 47 jours)

La période DIMONA située dans le trimestre et dans la période de référence : 15 jours Application de la disposition : 2 100/ 47 = 44,6808

44,6808 x 15 = 670,21

670,21/65,05 = 10,30 journées à prendre en considération pour le trimestre 3

1]« indépendante par rapport aux différents représentants qui siègent dans la Commission et qu’elle n’a pas d’intérêt particulier dans le traitement des dossiers. » (Exposé des motifs, commentaires des articles de l’AR Commission)

2 (NdA : d’autres avancent des chiffres allant de 5900 à le chiffre de 8900, d’autres encore avancent un nombre potentiel de 20000) 

3 « il faut entendre par activités techniques dans le secteur artistique, les activités exercées en tant que technicien ou dans une fonction de soutien consistant en :
1° la collaboration à la préparation ou à la représentation en public d’une oeuvre de l’esprit à laquelle participe physiquement au moins un artiste de spectacle ou à l’enregistrement d’une telle oeuvre;
2° la collaboration à la préparation ou à la représentation d’une oeuvre cinématographique;
3° la collaboration à la préparation ou à la diffusion d’un programme radiophonique ou de télévision d’ordre artistique;
4° la collaboration à la préparation ou à la mise en oeuvre d’une exposition publique d’une oeuvre artistique dans le domaine des arts plastiques. »

4 AR Commission, art. 12 §5 « la préparation et le développement de projets artistiques, le travail conceptuel et le travail de production, la recherche de financement de projets artistiques, la recherche de travail des arts, le maintien et le développement des compétences dans les domaines des arts précités, le droit de monstration et la promotion de l’œuvre artistique ».

5 Si l’on se fixait sur les montants des salaires de référence indiqués dans le Rapport au Roi, on aurait un montant maximum correspondant effectivement au maximum d’un.e chef.fe de famille (actuellement 1685,84 € – et le Rapport au Roi mentionne un salaire de référence de 2700 € au 01/01/2022 et 2700*60% =1620 €), mais un minimum correspondant à celui d’un.e cohabitant.e (actuellement 1107,34 € – le rapport au roi mentionne un salaire de référence minimum de 1690 € au 01/01/2022, et 60%*1107,34 = 1014 €). SI on suit ce raisonnement, la suppression de la distinction isolé.e/cohabitant.e se serait fait au « bénéfice » des montants alloués aux cohabitant.es ! D’autre part, en appliquant stricto sensu l’alinéa indiquant que l’on bénéficie de l’allocation prévue en fin de première période, on serait tenté d’appliquer le barème minimum actuel prévu pour un.e isolé.e en fin de première période. Celui-ci est, à l’heure où j’écris ces lignes, de 1246,18 €, ce qui reste inférieur au 1507 €. Espérons que ces points ne soient pas sujets à interprétation.

6 On a vu que les ministres déploraient la « no business illusion » du secteur. On peut aussi y ajouter le côté disruptif de la concertation organisée autour de la réforme : une plateforme participative (mais aux nombres de caractères autorisés réduits) ayant aux yeux des ministres semble-t-il plus de valeur que la concertation avec les organisations représentant les travailleurs.

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer